Souvenir... Horizon... Une après-midi au théâtre, des coups de coeur contemporains - Lycée Les Bruyères

Souvenir... Horizon... Une après-midi au théâtre, des coups de coeur contemporains

Une semaine avant le confinement, les élèves de l’option et de l’atelier théâtre allaient voir la superbe lecture de "Champ de Bataille" de Marie-Claude Verdier, dans le cadre du festival des langues françaises

C’était il y a deux mois et pourtant, cela semble faire une éternité… Petite photo souvenir juste avant ce moment suspendu. Les élèves de l’option et de l’atelier théâtre allaient écouter la lecture (mise en espace par Maurice Attias) du texte qu’ils avaient choisi parmi les pièces francophones contemporaines offertes à la découverte.

Un espace quasi vide, un texte superbe, parfois aride et poétique, des comédiens du conservatoire, des apprentis doués qui ont donné corps et voix aux personnages imaginés.

Les élèves avaient choisi avec douleur, après débats passionnés et passionnants, cette pièce québécoise qui traite d’écologie, d’engagement, de filation et de trahison ou de fidélité à soi-même.

Voici certains des discours d’élèves qui ont accompagné l’annonce des choix.

Pour Champ de Bataille, discours à inspiration québécoise de Marie Leclerc

Suite à ces discours aussi élogieux les uns que les autres, vous attendez beaucoup de moi, de chaque mot que je vais dire pour justifier mon choix et celui de mes camarades. Notre choix final s’est porté sur Le Champ de Bataille de Marie-Claude Verdier.
Cette pièce raconte l’histoire de deux jeunes, Steve et Geneviève, concernés par les problèmes climatiques et de société. Ces deux jeunes vont pourtant évoluer dans la société de manière plus ou moins banale, abandonnant à certains moments leurs combats, pour commencer un nouveau chapitre de leur vie. Mais ils continueront pourtant de mener des batailles, jusqu’à ce que leur vie se fissure par l’annonce d’une nouvelle.
Dès la lecture, je me suis surprise à imaginer des mini Steve, Genevieve, Elisée et François illuminés par la lueur d’un théâtre.
Steve, un personnage de la pièce, aurait pu dire dans son dialecte québécois :

« Les trois minutes
les trois minutes qui passent
après le deuil des deux autres pièces
pis
avant cette révélation pour le Festival des langues françaises
j’ai peur
j’ai fucking peur
je sais pourquoi on l’a choisie
de ce qui s’en vient
pis le moment va être "in medias res"
pis grandiose
un moment vraiment important
comme les enjeux de cette pièce
pis qui résonne dans notre société actuelle
dans toute notre société que ce soit pour nos mams
ou les osti d’jeunes
comme nous
tous ensemble
pis devant vous
dans ce théâtre
pis que ça va peut être changer le monde
le monde de l’écrivaine
Je suis tombée en amour pour cette pièce
pis je vais vous dire pourquoi
Parce que fallait que ça sorte, qu’elle sorte
Geneviève qui accouche et Steve qui manifeste au même moment
pis les nuits que j’ai passées à imaginer cette scène
les lumières, les décors, les voix
pis un soir illuminés par nos idées,
on a décidé de choisir cette pièce
ça a été une aventure
pis là
dans ce théâtre
on se sent petits loin de l’auteure
pis redevables
pour son magnifique style aux sonorités de poésie
Pour sa métaphore tout au long de la pièce
comme celle du loup qui prend place en chaque personnage
une louve pour Geneviève
pis un loup enragé pour Steve
ostie,
ostie ostie de grande pièce
Ostie de langage typique
ostie de Marie-Claude Verdier
pis j’arrête de niaiser
pis vous l’avez deviné que c’était Le champ de bataille dont on parlait"

Parmi les textes non retenus, Que ta volonté soit Kin de l’autrice congolaise Sinzo Aanza a aussi suscité des coups de cœur.

Voici le texte de Léa Leteinturier pour en dire la force.

Goodbye Kin

Ce texte est presque un hommage à Que ta volonté soit Kin qui est et restera pour moi, et pour chaque personne qui l’a choisi, je pense, un réel coup de coeur artistique.

J’appelle ces paroles “hommage” car malheureusement, la majorité des votes s’est portée sur une autre pièce qui certes, est bien écrite et divertissante. Seulement, Sinzo Aanza, l’auteur de notre pièce de coeur, nous fait nous poser une réelle question sur le sens et le but de la pratique théâtrale. Un spectateur peut bien sûr venir pour se divertir, dans ce cas le choix majoritaire est justifiable, mais cette pièce est bien plus qu’un divertissement puisqu’elle crée une résonance bien différente chez chaque personne qui a l’honneur de la découvrir.

Elle met en scène une histoire touchante qui permet la découverte d’une culture autre : celle de la République démocratique du Congo, le pays dans lequel l’intrigue se déroule. Elle nous amène au chemin entre une réalité forte et provocante et un imaginaire d’une beauté et d’une étrangeté inqualifiables. La matière artistique apportée par l’auteur aurait permis une mise en scène fabuleuse qui aurait pu nous faire vivre l’action en tant qu’acteur de la scène. Elle nous aurait amené.e.s dans un espace urbain comme dans une rue par exemple. Cette dernière pourrait alors être habillée de lumières qui donneraient un sens peut-être plus précis à certains passages ; avec des moments rythmés par de la musique, voire de la danse lors des changements de point de vue. Les comédiens seraient ainsi mélangés au public et notre place serait aussi inconfortable que la leur, ce qui nous plongerait d’autant plus dans l’histoire.

De plus, cette pièce ne se limite pas à l’exotisme du pays étranger : elle rend perceptibles les points communs entre toutes les cultures et les pays avec des inégalités similaires, comme la pauvreté ou la place des femmes dans notre société, qui ne se sentent plus en sécurité dehors la nuit tombée.

Que ta volonté soit Kin est une pièce touchante par son humour discret et son étrangeté qui devient presque la normalité à la fin de notre lecture et qui aurait pu, mais surtout qui aurait dû, avoir la chance d’être jouée et publiée.

La majorité n’est pas un indice suffisant pour juger une pièce. Place à la subjectivité.